A fond la forme, coque et soucoupes. «Je ne suis jamais allé au Brésil», s’étonne Jean-Pierre Lott. Pourtant, «les architectures blanches marquent à jamais». Premier arrondissement, premier étage. Aucun doute, l’agence, en duplex, est immaculée. En haut, dans son bureau, l’architecte. Isolé ? La porte reste grande ouverte.
«Les modernes ont produit des choses incroyables. Etudiants, nous les regardions avec admiration. Ce que nous avons retenu d’eux : le plaisir du dessin. Il est important de pouvoir tracer une synthèse en quelques coups de crayon. Il y a, derrière la complexité, un ensemble cohérent», soutient Jean-Pierre Lott.
Depuis, la postmodernité a fait son oeuvre ou presque. Alors, Post-Lott ? «Tous mes projets relèvent d’une continuité formelle claire. Les formes préexistent et nous dessinons encore et toujours un peu la même chose mais chaque proposition est en situation», précise-t-il. Bref, obsession sans concession, l’homme de l’art s’en amuse.
«J’aurais dû être ingénieur», dit-il. Etre architecte n’avait rien d’une évidence. Aux premières heures, sur les bancs du lycée, il y avait le dessin industriel ; «une technique de grande précision ; il s’agissait de maîtriser les pointes dures», se souvient-il.
L’école d’architecture de Marseille puis UP8, Jacques Lucan puis Henri Ciriani finissent d’amener Jean-Pierre Lott sur la voie. «Je suis devenu architecte et, pour ce métier, il est important de savoir dessiner». Sur le bureau, un paquet de chewing-gum. Au mur, pas même un post-it.
«L’idée d’accrocher des photos me passe aussi vite qu’elle me vient. Je ne me mets pas dans une situation de confort. Ici, pas de superflu. Il y en a suffisamment dans mes dessins», sourit-il.
Le secret ? Une pièce attenante, antre dévoilé après quelques heures de conversation. Croquis sur table, calques au mur, tout est là. «Je vais vite à faire des projets. Je les réfléchis sans cesse, je crée des scenarii, tout sort à toute vitesse. Il n’y a pas de théorisation particulière ; je fonctionne de façon instinctive», lance-t-il.
La célérité eut raison d’une première et unique association avec Jean Dubus (1990-1999). «C’est difficile d’être deux… Etre autonome a beaucoup d’avantages», note-t-il.
«Je ne suis, par ailleurs, d’aucun gang et ne fais pas de repas d’affaires. Le travail doit se juger sur pièce», tranche-t-il. Exit le carnet de bal.
Jean-Pierre Lott est donc seul à la tête de son agence. «Nous sommes peut-être sous-dimensionnés mais le travail est garanti pour tout le monde». Ils ne sont pas même une dizaine.
Deux tours, des médiathèques, des écoles, des mairies, des palais de justice… Des charrettes ? «Jamais !». A 19h00, un mercredi, l’agence, calme, se vide sans inquiétude. «Ni stress, ni ‘dinguerie’. L’agence est un lieu de travail, nous nous battons avec le papier», assène l’architecte.
Question d’organisation donc. «Je fais mon planning et ne décale jamais rien». Même rigueur pour les concours. «Il y a un travail sur les formes qui prédomine mais avant cela, pour être juste, il faut contrôler le programme et la mécanique du projet sinon rien ne fonctionnera. Il faut lutter contre les habitudes et les facilités», dit-il.
Préalables nécessaires à la liberté du porte-mine, un cahier des charges annoté de toute part et un tableau des surfaces.
«Quand je parle de courbe, j’évoque un tracé. Je fais un croquis et je trouve le plan qui lui correspond. La complexité nait seule», reprend l’architecte. Une part de mystère donc où la forme promet d’échapper aux échelles. «Chaque projet propose de rentrer dans un autre système, d’apparaitre et de disparaitre», soutient-il.
Grandes ou moins grandes, «les constructions sont généralement l’expression de leur fonction. Il y a pourtant un filtre, un intermédiaire, entre ce que nous imaginons et la fonction. Nos desseins créent un écart entre la perception et la réalité. Je ne cherche pas à être lisible», affirme-t-il.
In fine, impossible pour Jean-Pierre Lott de dessiner une fenêtre. En conséquence, la quête formelle. En plus «de donner du grain à moudre», elle «décrispe le côté institutionnel de certains programmes», souligne l’artiste.
Décomplexée, l’architecture imaginée semble «trop expressive pour Paris». De fait, l’agence ne construit pas intramuros. «Il s’y réalise principalement des logements ; or, nous n’avons pas le profil pour», indique l’architecte qui dénonce «cette petite maladie de faire des chapelles».
L’hérétique s’essaye pourtant au programme résidentiel. «Je comprends maintenant la sueur de mes confrères. Un enfer. Nous essayons de donner des épaisseurs et d’écarter les murs mais tout ce qui est généreux est finalement brisé. Il n’y a plus qu’à faire une façade et des fenêtres», relate-t-il. La percée est impossible.
«C’est un métier où il faut beaucoup d’optimisme», dit-il. Face à l’échec, «il ne convient pas d’être matérialiste. Je ne me pose pas plus de question sur ces revers que je ne remets en cause, une fois lauréat, mon dessin», affirme l’architecte.
Les concours ne sont dès lors jamais une question de calcul. Un brin idéaliste mais aussi hédoniste, Jean-Pierre Lott y décèle, outre le plaisir de créer, «la liberté de faire ce que nous avons envie de faire. Si nous faisons ce que d’aucuns attendent, il y aura alors toujours quelqu’un qui le fera mieux. Nous sommes nombreux et je serais bien incapable par exemple de concevoir un bâtiment en bois». Argument béton.
L’agence, installée aux Halles, s’exporte. En banlieue d’abord. «Le 93 ? Complètement foutraque ! J’ai une sympathie pour ces endroits abandonnés». Ensuite, la province. «Nous sommes les seuls Parisiens à être invités dans le Tarn et nous venons de gagner un concours à Toulouse», s’enchante le stratège. «Nous voulons travailler partout en France», consent-il.
Sur la carte s’ajoute les étapes nantaise, strasbourgeoise, corse ou monégasque… «Je suis un mercenaire. Je pars pour mon rendez-vous et reviens le jour même», dit-il.
A chaque projet, la même passion. A chaque explication, la même malice. Une piscine à tous les étages ? Une serre tropicale dans un collège ? Construire au-dessus de trois axes rapides, dont deux en auto-ponts ? Un demi-suppo perforé en guise de marquise ? Et alors ?
«J’aime les choses complexes et claires», répète-t-il à l’envi. Si l’architecture demeure liée au dessin, il s’agit avant tout de figurer des impressions et ce toujours «dans une économie respectée», prévient l’architecte.
Travail de sculpteur autant que de peintre, deux traits, une courbe, une contre courbe.
L’architecture, c’est blanc, noir ou gris.
Jean-Philippe Hugron